dimanche 24 avril 2011

Une légende est partie

Le général Lecerf à l'endroit qu'il préférait : au milieu des combattants. Ici avec les paras du 8e RPIMa, en Kapisa. (crédit : 8e RPIMa).

Le général Antoine Lecerf est mort vendredi des suites d'un cancer contre lequel il se battait depuis des années. La nouvelle devrait frapper une bonne partie de militaires de l'armée de terre qu'il a commandés, à un moment ou un autre, mais au-delà, même. Car ce fantassin qui avait grandi en légion avait une culture interarmes et interarmées très développée et n'hésitait pas à soutenir la conversation avec les aviateurs qui passaient à sa portée, comme ce 25 septembre 2008, quand il avait pris du temps pour remercier des équipages de Caracal du Pyrénées qui étaient allés chercher "ses" paras, en Uzbeen, un mois plus tôt.
Il avait mis sur pied la préparation opérationnelle différenciée, qui avait mené aux mises en condition opérationnelle actuelles, sésame pour l'Afghanistan, et, avec son aîné, le général Elrick Irastorza (alors MGAT), l'adaptation réactive, visant à envoyer au plus tôt les meilleurs matériels disponibles dans la chaudière afghane.
Le CEMAT vient d'ailleurs de nous confier l'estime qu'il avait pour son camarade, qui lui avait succédé à la tête l'opération Licorne : "ce n'était pas un subordonné, on se connaissait depuis plus de 20 ans, on se comprenait, on n'a jamais eu un différend. C'était un homme de confiance, on travaillait donc en totale confiance. Et ses subordonnés lui vouaient un amour filial."
Il le leur rendait bien. Le 12 mars, ce blog rappelait une de ses récentes citations : "Pourquoi un jeune français meurt-il en Afghanistan ? La France, le drapeau tricolore, non, foutaises ! Il meurt pour son copain, son sergent, son lieutenant, son colonel. Pourquoi ? Parce que, lorsqu'on tutoie la mort au quotidien, il se créée une alliance sacrée. Cela s'appelle tout simplement l'amour".
Ce général atypique ne refusait pas, parfois, à faire dans l'autodérision, évoquant en comité réduit son mai 1968 à lancer des pavés. Authentique ou pas, l'anecdote se mariait en tout cas avec le personnage, rugueux, volontiers provocateur et rentre-dedans, profondément patriote. Soldat légendaire, au parler rocailleux et facilement intelligible, il était respecté, et parfois même, adulé par ceux qui l'avaient servi. "Il vous testait, la première fois, comme our savoir s'il pouvait vous faire confiance, mais c'était quelqu'un d'extrêmement attachant, et proche de nos préoccupations" me résumait ainsi un officier sorti du rang qui avait servi sous ses ordres en Côte d'Ivoire.
Déjà, à cette époque, le légionnaire a un parcours extraordinaire, commencé au 2e REI : chef de section, commandant de compagnie, chef BOI dans le Golfe (1), il en est chef de corps, lorsque le régiment envoie ses mortiers dans le cadre de l'opération Balbuzard Noir, évoquée dans le prochain RAIDS. Ses mortiers de 120 mm iront mettre de l'ordre chez leurs homologues serbes, qui pilonnent, alors, Sarajevo, sa population et ses casques bleus.
Alors que l'armée de terre sortait frappée de l'embuscade d'Uzbeen, et devenu commandant des forces terrestres, il n'avait pas hésité à répondre à mes questions pour une longue interview dans RAIDS, le 16 octobre 2008, et à refuser toute forme de misérabilisme sur le plan du matériel.

Il m'avait notamment rappelé avoir sur son bureau cette phrase de Samuel Fuller : " as long as we need remain amateurs, we shall be surprised sometimes by the substance of the ennemy, but more often by the shadow of our ignorance".

(1) voici une anecdote tirée de l'ouvrage du Col Nicolas Casanova (Tempête du Désert, un peloton de légionnaires cavaliers dans la première guerre du Golfe) : "finalement, en arrivant sur le site, je frappe à la porte d'un VAB. Un lieutenant-colonel bourru portant de superbes Ray-Ban me répond. Ce n'est pas le véhicule de commandement du chef de corps, mais celui du chef opérations. Je me fais juste chahuter comme un jeune lieutenant (...) C'est le premier contact avec le futur général Lecerf".



Le général Lecerf avec ses célèbres Ray-Ban, en septembre 2008, jour où il consacrera de longues minutes aux équipages d'hélicoptères de l'armée de l'air qui avaient extrait les blessés d'Uzbeen, un mois plus tôt. (crédit : Jean-Marc Tanguy).